Reconversion : des boulangers d’un nouveau genre

Reconversion : des boulangers d’un nouveau genre

Actualités
Publié le 17 novembre 2017

Ils n’ont pas suivi le parcours classique, mais leur itinéraire bis s’est enrichi de leurs étapes professionnelles successives pour emprunter un chemin qui n’a pas toujours été du pain bénit. Profil atypique, mais vraie passion de leur métier, ils remodèlent à leur manière le paysage de l’artisanat… (Chapô)

Qui a dit que la boulangerie artisanale était menacée de désaffection ? Elle suscite au contraire de vraies vocations, fourmillant de créativité pour enrichir un secteur qui sait se réinventer. Depuis quelques années, le regard porté sur les métiers manuels a évolué, accompagnant une mutation progressive des priorités et des valeurs professionnelles. Les cadres supérieurs, bloqués dans une logique de performance et de management jusqu’à l’absurde, les menant parfois au burn-out, n’hésitent plus à changer de voie et à repartir de presque zéro pour se mettre à leur compte. D’après les chiffres de l’APEC de 2016 donnés par le journal Le Monde, 14 % des jeunes diplômés de niveau bac+5 ou plus auraient décidé d’entreprendre une réorientation professionnelle dans les deux ans suivant l’obtention de leur diplôme. Une tendance qui ne concerne pas que la France et qui revêt des spécificités composant la diversité des candidats.

Les nouveaux urbains

Ces reconversions ne s’apparentent pas à des utopies sans réflexion, mais s’ancrent au contraire dans une réalité économique autour d’une stratégie solidement déployée. Les projets se développent essentiellement en ville plutôt qu’à la campagne, tout en gardant souvent l’écologie en ligne de conduite, et s’appuient sur un réseau bien étayé au fil des expériences professionnelles passées. Le changement de carrière résonne souvent comme un changement de vie pour ces cadres supérieurs en quête de sens. « J’étais informaticien, se souvient Cédric Reynier, qui a ouvert en 2014 sa boulangerie bio Le Pain des Cairns à Grenoble. Je n’ai pas réussi à trouver ma place dans cette activité. J’ai vite compris que j’avais besoin de me réorienter vers d’autres valeurs. » Donner du sens, le leitmotiv revient également pour Pierre-Julien Bouniol qui, après Sciences Po, a évolué pendant des années dans le milieu de la presse et de la communication, avant de dresser un bilan se soldant par l’envie profonde d’un virage radical. Ce bilan le mène à l’ouverture de sa « boulangerie utopique », Bella Ciao, en juillet 2016, à Avignon : « La passion du pain, je l’avais déjà avec un grand-père boulanger. Mon projet a fermenté au fil des années et des rencontres. L’arrivée d’un bébé n’a fait que renforcer ma décision. J’avais besoin de renouer avec un métier lié à la vie quotidienne, avec une dimension sociale. »

Du pain sur la planche

Dans le livre « La Révolte des premiers de la classe », publié aux éditions Arkhê, le journaliste Jean-Laurent Cassely révèle l’envers du décor de ces reconversions, qui ne se transforment pas toujours en succès, comme celui du très médiatique Christophe Vasseur, consacré en 2008 meilleur boulanger de Paris par le Gault et Millau, après une carrière de commercial dans le luxe. Désillusions sur le terrain, difficultés économiques, décalage entre les clichés souvent entretenus par des émissions glamour comme Top Chef et la réalité du métier… L’écrémage est drastique et les candidats au changement ne savourent pas instantanément leur petit lait. « La formation que j’ai réalisée à l’École internationale de boulangerie a mis à plat tous mes préjugés sur la façon de faire du pain et a fait évoluer mon projet », raconte Cédric Reynier. Pour des questions d’âge, de situation familiale, de financement…, la voie classique reste compliquée et la majorité des postulants préfèrent suivre un enseignement court et condensé. « Avant de commencer une formation de quatre mois en intensif, j’ai appris par moi-même en expérimentant, en me documentant, en échangeant avec des boulangers, explique Pierre-Julien Bouniol. Je savais quel type de pain je voulais proposer à mes clients et je ne réalise pas de pâtisseries, excepté des brioches. » Une fois leur diplôme validé, l’objectif pour la plupart reste d’ouvrir leur boulangerie. Réaliser leur projet en privilégiant une qualité de vie maltraitée dans leur précédent emploi, quitte à gagner moins et à réduire le champ de leur développement. Une petite révolution professionnelle qui a confirmé Pierre-Julien Bouniol dans ses choix : « le bonheur d’échanger avec les clients, leur retour chaleureux sur le pain, la satisfaction de faire quelque chose de concret n’a pas de prix…»

Lise Lafitte

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