Tendances alimentaires : le grand retour du plaisir
Publié le 1 décembre 2024
C’est dans les prestigieux locaux du Conseil régional de Normandie, installés dans l’ancienne abbaye aux Dames dont la fondation remonte au XIe siècle, que s’est tenue cette 6e Rencontre. Mais la beauté et la solennité des lieux n’ont pas fait oublier la situation actuelle de la Boulangerie en France. « La Boulangerie est dans l’œil du cyclone », a souligné André Sourdon, hôte de ce jour en tant que Président de la région Normandie et du département de l’Eure. Une vision partagée par Jean-Paul Martin – Président de la Seine-Maritime – qui a rappelé dans son introduction la concurrence sauvage de la grande distribution et le problème de la journée de fermeture hebdomadaire : « La concurrence de la grande distribution, surtout le dimanche, crée un gros manque à gagner et remet en cause la pérennité de notre métier. À cela s’ajoutent des problèmes de calcul de nos coûts de revient et la stagnation de nos prix de vente. Dans ces conditions, il est difficile d’adapter une gamme de produits qui soit en adéquation avec la clientèle. » Le signal d’alarme a également été tiré par Pierre Serais – Président du Calvados – face à ce contexte préoccupant : « Si le Calvados est un département qui se porte économiquement bien, notre profession est attaquée de toute part avec des chaînes qui se développent de manière excessive. Fort heureusement, nous avons des atouts : notre persévérance, notre accueil irréprochable et la qualité de nos produits. Nous pouvons gagner ce combat, mais ensemble. » Même son de cloche alarmiste du côté de Fabrice Suzanne – Président de la Manche et de l’Orne : « Nous subissons des choses que nos anciens n’ont pas connues. L’une de nos plus grosses difficultés se trouve être le recrutement. Les centres de formations sont remplis, et pourtant… ».
À l’écoute de ces « doléances », Dominique Anract n’a pu que constater que « partout en France, les problèmes sont les mêmes avec notamment celui de la concurrence industrielle, mais aujourd’hui, nous avons la solution ». Sous-entendue la charte qualité sur laquelle les débats se sont fortement focalisés au cours de cette rencontre.
Le recrutement
Comme signalé précédemment, le recrutement du personnel de vente figure parmi les principaux écueils de la profession. Rappelons-le, ce sont 7 000 postes qui sont actuellement à pourvoir. « Pourtant, la Confédération a mis en place un kit de recrutement à disposition des boulangers pour qu’ils puissent l’afficher dans leur boutique. Le but est de faciliter l’embauche et de recruter au plus près de chez soi », a rappelé Jean-Yves Gautier – Président de la Fédération de Loire-Atlantique et Président de la Commission de la Qualité, de la Formation et de l’Innovation. Ce kit s’accompagne également d’une vidéo de présentation de la profession1. Parmi les boulangers présents, 69% d’entre eux ignoraient la mise en place de ce dispositif. Concernant cette désaffection pour le métier de la vente en boulangerie, diverses raisons ont été avancées, recoupant celles déjà exprimées lors des précédentes Rencontres : « salaires peu attirants, horaires et travail le weekend, problème de valorisation et de mentalité chez les jeunes. » Pierre-François Tallet a rappelé cet étrange paradoxe entre les 27 400 apprentis actuellement en formation et le nombre de postes vacants avec cette question « Mais où s’évaporent-ils ? Heureusement, cela ne concerne pas tous les jeunes comme le prouvent par exemple les Semaines de l’Excellence. Les principaux problèmes sont la motivation et le savoir-être, plutôt que le savoir-faire. » Sur ce sujet, Jean-Yves Gautier a insisté sur l’importance des concours « qui sont une manière de valoriser les professions de la vente qui sont des métiers très riches nécessitant de bonnes connaissances des produits et de leurs origines, ou encore sur les allergènes. »
Le croissant, c’est maison !
Symbole tout aussi important que la baguette dans le cœur des Français, le croissant. Sur ce sujet, 86% des boulangers présents lors de cette Rencontre de Caen le fabriquent eux-mêmes et 88% d’entre eux communiquent sur ce sujet auprès de leurs clients, notamment grâce à l’affiche proposée par la Confédération « Croissant d’Artisan », que beaucoup ont apposée sur leur devanture. Quant aux arguments pour défendre ce savoir-faire et maintenir cette fabrication artisanale, ils sont nombreux : « préservation du métier et de la spécificité française d’un produit plaisir par excellence, image de la boulangerie et de son histoire », mais aussi pour des questions de « rentabilité ». Sur ce sujet, Christian Martin – Président du Groupement de l’Ardèche et Président de la Commission Économique, Fiscale et Sociale et de la Commission Nationale Paritaire – a rappelé que « le croissant industriel est une vraie fausse bonne solution. » Pierre Serais a regretté quant à lui l’attitude des consommateurs qui, il faut bien l’avouer, sont un peu perdus face à toute cette offre. « Les clients nous mettent parfois en doute quand on dit que c’est du fait maison. Il est tout de même désolant d’en arriver là, car ce sont ceux qui sont dans le vrai qui sont obligés de se justifier ! » Jean-Paul Martin a profité de cette dernière intervention pour rappeler que l’INBP propose des formations spécifiques sur ce thème. « Le CQP tourier a été relancé à l’Institut. Il s’agit d’une formation de 8 semaines qui s’avère être aussi bénéfique pour les salariés que pour les patrons. »
La charte qualité
Ce thème du croisant maison était une transition toute trouvée pour évoquer ce qui va être un des gros dossiers de la Confédération en 2020 : la charte de qualité. Comme l’avait déjà indiqué le Président Anract en début de Rencontre, « elle doit être la solution à nos problèmes. » Cette dernière reposera sur quatre piliers : la fabrication « maison », la santé et l’hygiène, l’accueil et l’accessibilité, et pour finir le sociétal.
Côté fabrication « maison », la charte comprend le pain, la viennoiserie (croissant, pain au chocolat (ou chocolatine), pain aux raisins, brioche, pain au lait), la pâtisserie boulangère (galette ou gâteau des rois, éclair, religieuse, millefeuille, Paris-Brest, Opéra, tartes aux fruits, flan, chausson aux pommes) et la restauration boulangère autrement appelée snacking (quiche, pizza, sandwich). Mais attention, le respect de la charte n’impliquera pas de commercialiser tous les produits de cette liste.
Concernant la santé et l’hygiène, la dose de sel pour la fabrication des pains ne doit pas dépasser la recommandation de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation de l’Environnement et du Travail (ANSES), soit 18 g/kg de farine. « Dans 5 ans, ce sera 16 g », a prévenu Philippe Maupu, Secrétaire général de CNBF. De plus, les professionnels s’appuieront de préférence sur le Guide des Bonnes Pratiques d’Hygiène de la boulangerie et de la pâtisserie pour la surveillance de la qualité sanitaire de leurs produits.
En matière d’accueil et d’accessibilité, les boulangers veilleront à adapter leurs horaires d’ouverture aux attentes de leurs clients et à proposer un accueil attentif et des conseils personnalisés. Ils devront également offrir une bonne accessibilité à leur magasin aux personnes handicapées. « Nous ne sommes pas que des acteurs économiques, nous sommes aussi les garants d’une certaine forme d’humanisme et c’est ce qui fait que nous sommes incontournables par rapport à l’industrie », a souligné Dominique Anract.
Enfin, pour le volet sociétal, les signataires de la charte choisiront de préférence des circuits courts d’approvisionnement, des produits nobles, de saison, privilégiant la qualité gustative. Ils veilleront également à la pérennité du métier grâce à la transmission des savoir-faire en accompagnant les apprentis.
Cette charte s’appuiera sur deux socles. Le premier sera constitué par une grande campagne de communication auprès du grand public par le biais de spots télévisés et radiophoniques. Le second sa traduira par un contrôle externe biennal mené par le Bureau Veritas chargé de garantir le respect de la charte.
Cette annonce a été chaleureusement accueillie par le public présent. Pour ce dernier, ce document est l’opportunité « de se différencier des franchises, de rassurer les clients et de contrôler la qualité », tout en mettant en avant « la qualité et l’origine des produits, la fabrication « maison » et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) ».
La formation professionnelle
Autre problème d’actualité, la formation. Là encore, la réforme n’est pas perçue comme positive par 76% des artisans boulangers. Pour ces derniers, se posent des problèmes de législation, des lourdeurs administratives et un manque d’intérêt des jeunes. « Le frein, c’est le système d’orientation de l’Éducation nationale. On a affaire à des jeunes sans motivation ou à des décrocheurs », a fort justement fait remarquer Jean-Paul Martin. Les débats se sont également tournés vers la formation des chefs d’entreprise et les difficultés que rencontrent ces derniers. Les premières causes pointées du doigt sont le manque de temps, l’isolement et les démarches administratives. Jean-Yves Gautier a cependant rappelé tout l’intérêt pour les chefs d’entreprises à continuer à se former au cours de leur carrière. « Personne n’a le temps, mais il faut absolument le trouver pour continuer à progresser, c’est un véritable investissement. Une des solutions possibles est la venue de formateurs directement en entreprise. » Ce que propose déjà l’INBP.
À la fin de cette 6e Rencontre, le Président Anract a salué les artisans pour leur implication et chaleureusement remercié les différents Présidents de Fédération pour l’organisation de cette journée. Une journée visiblement plus que positive comme l’a exprimé André Sourdon à qui est revenu le mot de la fin : « Merci de nous avoir redonné la niaque et d’avoir regonflé le moral des troupes ! »
Texte et photos : Loïc Corroyer
1 https://vimeo.com/308543446
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Parole d’élus
Marc Millet, Président de la Commission Orientation & Formation au Conseil régional de Normandie et Conseiller municipal à Caen
« Vous avez bien fait de choisir Caen pour cette Rencontre car cette ville est une grande pourvoyeuse de boulangers avec un lycée professionnel bénéficiant d’une filière spécifique et un CFA. À ce titre, nous sommes également une vraie pépinière de champions à l’image de l’équipe de France de boulangerie qui représentera l’Hexagone lors de la Coupe de 2020 organisée au salon Europain, sans compter de nombreux MOF originaires de la région, ou encore les candidats présentés lors des Olympiades des Métiers. »
Sonia de la Provôté, Sénatrice du Calvados et membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation
« Ces journées sont essentielles pour vous souder tous afin de défendre votre cause et votre métier, car si on veut de la qualité, il faut de bons professionnels. Le maintien de vos activités est essentiel pour les territoires et leur aménagement. Les boulangers sont les garants d’un art de vivre à la française car vous êtes un emblème de cette qualité de vie. Sachez que le Sénat est mobilisé derrière l’inscription de la baguette à l’Unesco, dossier pour lequel vous avez tout mon soutien. »
Publié le 1 décembre 2024
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