Tendances alimentaires : le grand retour du plaisir
Publié le 1 décembre 2024
Depuis le 24 février dernier, les troupes russes ont envahi l’Ukraine, ouvrant les portes d’un conflit aussi violent que sanglant. Face à cette agression, l’immense majorité des nations a condamné la Russie et décidé de sanctions économiques sans précédent. Bien sûr, en ces heures sombres qui ne sont pas sans rappeler les plus tristes pages de notre histoire récente, nous nous associons à cette solidarité internationale et toutes nos pensées vont vers le peuple ukrainien et ses institutions. Mais au-delà des questions diplomatiques et géostratégiques, cette crise et ses interactions ne sont et ne seront pas sans conséquence sur notre économie, y compris pour la boulangerie-pâtisserie, car Russie comme Ukraine sont de grands pourvoyeurs de matières premières. Explications.
La crise ukrainienne, en plus de ses effets militaires, a provoqué une flambée des cours sur les marchés internationaux. Énergies, produits agricoles, l’impact est quasi général dans un contexte déjà inflationniste. Pour rappel, les prix à la consommation en France ont augmenté de 3,6 % en février sur les 12 derniers mois glissants selon les données de l’Insee datées de fin février, et cette hausse atteint même 15,8 % sur un an pour les prix des produits agricoles à la production.
Les énergies
Le premier effet visible de la guerre en Ukraine est bien sûr l’explosion des prix du carburant à la pompe. Des prix qui s’étaient déjà envolés avec la forte augmentation de la demande de pétrole faisant suite à la reprise économique « post » crise sanitaire.
Pour mémoire, de 59,40 $1 le baril de Brent en janvier 2019, les cours s’étaient effondrés à 18,50 $ en avril 2020, pour remonter à 54,80 € en janvier 2021 et atteindre les 86,50 $ en janvier 2022. Sur un an, la hausse s’élevait déjà à près de 58 %. Depuis l’invasion russe, c’est la flambée. À l’heure où nous écrivons ses lignes, le baril cote à plus 139 €. « Ça veut dire qu’il y a de très fortes chances, un risque, que les prix à la pompe augmentent en proportion, c’est-à-dire de quelques centimes par litre encore cette semaine alors qu’on était déjà dans des plus hauts historiques », prévenait Olivier Gantois, président de l’Union française des industries pétrolières, sur BFM Business début mars. Et d’avouer quelques jours plus tard sur France Info : « On ne sait pas jusqu’où ça peut aller. »
Autre sujet de préoccupation en matière d’énergie : le gaz naturel. Là encore, c’est la valse des prix. Ainsi, le cours européen de référence du gaz naturel, le TTF néerlandais, s’est envolé le 7 mars à 280 € le mégawattheure (MWh), alors qu’il cotait 88,89 € la veille de l’attaque russe. À titre d’information, son prix était de 19 € il y a encore un an… Cette explosion tarifaire impacte fortement notre profession, grande utilisatrice de gaz, notamment pour les fours, et la facture ne devrait malheureusement pas aller en s’allégeant, bien au contraire. En effet, si, sur France Info, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a bien évoqué la mise en place d’un bouclier tarifaire pour les professionnels, celui-ci ne concernerait que les entreprises « qui consomment beaucoup de gaz et qui sont exposées à la concurrence internationale. »
Concernant nos approvisionnements gaziers, la situation française est plus complexe, car si la Russie ne représente que 8,7 %2 de nos importations pétrolières, elle pèse pour 17 %3 en ce qui concerne le gaz, derrière la Norvège (36 %), notre principal fournisseur, et devant l’Algérie (8 %), les Pays-Bas (8 %), le Nigéria (7 %) et le Qatar (2 %). Cependant, l’heure n’est pas à la panique car la France possède d’importants stockages permettant de pallier un défaut d’approvisionnement et dispose de trois terminaux méthaniers, ce qui permet de limiter « la dépendance » au gaz russe. Cependant, « on est probablement partis sur un tunnel de prix dans l’ordre de grandeur des prix actuels jusqu’au printemps 2023 », estime Nicolas de Warren, président de l’Union des industries utilisatrices d’énergie.
Les produits agricoles
La Russie et l’Ukraine sont également des acteurs majeurs sur le marché international des céréales.
Ainsi, la Russie est le 6e producteur au monde, le 3e producteur mondial de blé et le 3e exportateur de céréales avec 47,7 millions de tonnes (Mt)4 sur la campagne 2020/2021. De son côté, l’Ukraine est le 1er producteur mondial de tournesol, le 4e pour le maïs et le 4e exportateur de blé avec 44,6 Mt. Avec un tel poids et face à un marché déjà volatil, là encore, les cours se sont envolés. Ainsi, après avoir déjà connu une forte augmentation entre juillet et novembre 2021, le prix de la tonne de blé tendre est passé de 266 €5 à plus de 400 € entre le 31 janvier et le 7 mars 2022. Un an plus tôt, cette même tonne était à 183,50 € ! Même chose pour le maïs qui a vu son cours augmenter de 257 €/t le 21 février à 355 € le 3 mars. Et les exemples pourraient également se multiplier pour le colza ou encore le tournesol – dont les deux principaux producteurs sont l’Ukraine et la Russie – qui a enregistré un pique à 730 €/t toujours sur la même période.
Si les risques sur le blé tendre sont très limités – la France est largement autosuffisante et se classe 5e exportateur mondial de blé tendre6 et 7e exportateur sur l’ensemble des céréales – en revanche, ceux engendrés par le maïs, le tournesol, mais aussi les engrais azotés sont nettement plus problématiques. En effet, ces derniers sont, par exemple, indispensables pour la nourriture des animaux d’élevage. Or, cette crise pourrait engendrer une hausse générale des prix de l’alimentation animale et, par effet boule de neige, une augmentation de nombreuses denrées comme la viande et les produits laitiers, alors que nous avons encore en mémoire l’envolée du prix du beurre en fin d’année 2021.
« La crise actuelle ne remet pas en cause la sécurité alimentaire des Français, et même plus largement des Européens », analyse Intercéréales, l’interprofession représentative des producteurs de céréales en France, avant de souligner que « la situation va toutefois fortement impacter les prix sur le marché mondial (avant les flux logistiques), et donc par ricochet, les prix sur le marché français. »
De l’avis général des économistes, cette guerre en Ukraine impactera fortement notre économie en marquant un coup d’arrêt de la croissance et en provoquant un point d’inflation supplémentaire en France en 2022. La conséquence de tout cela pour les boulangers-pâtissiers, c’est que côté coûts de production, la note va encore se saler. Et une fois de plus, le casse-tête de la répercussion de ces hausses sur les prix de vente aux consommateurs va se poser dans une conjoncture déjà fortement concurrentielle.
Loïc Corroyer
1 Insee
2 Service de la donnée et des études statistiques (Sdes) 2020
3 Sdes, Bilan énergétique de la France en 2020
4 Eurostat/USDA, campagne 2020/2021
5 Euronext
6 Intercéréales
Publié le 1 décembre 2024
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